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Tracer ma route !

Lors d’un choix de route vers Cadaqués…

Quelques mois se sont écoulés depuis que j’ai publié « de quoi demain sera fait ». A la fin de cet article, je sentais qu’il était inachevé, que ce n’était que c’était une bon état des lieux mais qu’il manquait un paragraphe sur la mise en pratique. N’ayant plus le temps de mettre tout cela par écrit, je m’étais alors résolu à reporter la suite à plus tard et j’avais pris rendez-vous avec toi, pour poursuivre ma réflexion. Comment « construire mon avenir » et atteindre mes objectifs.

L’inspiration était venue en menant la réflexion suivante : je sentais bien que mon futur pouvait être riche. J’ai temps de possibilités, de rêves qui se bousculent. Mais voilà, il y en a tellement que je ne sais pas vraiment quoi faire et tout réaliser est évidemment irréaliste. Pourtant c’est bien ce dont j’ai envie…tout faire, ne rien oublier, ne rien laisser, ne rien abandonner. Je me retrouve au pied de l’immense et infranchissable falaise de mes rêves et celle-ci est tellement haute, qu’elle m’empêche de regarder au delà de mes rêves, elle m’empêche d’entrevoir mon futur. Je suis dans l’impasse, immobile parce qu’incapable de choisir dans quel futur, dans quel rêve je veux me projeter. Je fais quoi ? Je vais où ?

Et cette sensation, je l’ai déjà ressenti de manière très forte lors des mes premières sorties en voilier. A un moment très précis : la sortie du port.

Lorsque je suis monté pour la première fois sur un voilier, je n’y connaissais rien. J’avais bien quelques notions de voile acquises dans mon adolescence, mais sur un croiseur moderne, entouré d’inconnus tous aussi néophytes que moi…j’étais perdu, stressé mais terriblement excité 😁. Au moment de larguer les amarres, j’étais au comble de l’excitation, concentré et je ne perdais pas une miette de tout ce qui se passait. Le bateau glissait le long des pontons, comme on file dans un parking, guidé par le labyrinthe des bateaux amarrés. Puis, l’entrée du port est apparue doucement sous nos yeux, au bout de ses deux digues de rochers blancs à l’extrémité desquelles trônent les traditionnelles balises vertes et rouges marquant « la passe » (le passage) pour accéder à la mer.

Le bateau continuait d’avancer, doucement, on aurait pu le suivre en marchant. La grande bleu se faisait languir et se dévoilait dans une infinie lenteur, au travers d’une fenêtre qu’on aurait cru esquissée pour elle par les deux phares colorés. Nous avancions encore et bientôt nous étions sur le point de dépasser les balises et de sortir du port. La mer se donnait alors sans retenue, toute entière à mon regard qui se perdait, ne sachant plus quoi regarder devant l’horizon infini. Aucune route, aucun chemin, aucun panneau, aucune contrainte. C’est à ce moment précis que je l’ai ressenti, le « vertige de la liberté », quand toutes les contraintes s’effacent et qu’une infinité de choix s’offre à moi. Une sorte de jouissance intense, la sensation d’une liberté totale immédiatement suivi d’une forte angoisse qui me ramène aussitôt dans la peur et la réalité.

Dans cet univers inconnu, sans aucun repère, je fais quoi ? Je vais où ?

Quand je suis redescendu à terre 2 jours plus tard, je venais d’expérimenter la navigation par force 7 Beauforts (60km/h de vent), un « grand frais » dans le jargon, avec près de 4m de vague. Ce sont des conditions très dures. 7 Beaufort c’est la limite de la navigation pour les plaisanciers. Seuls les marins aguerris sortent dans ces conditions. Je dois avouer que j’ai eu très peur. Le bateau, un first 47 de 15m de long (ce qui est déjà un très gros voilier) se faisait balloter par les vagues comme un bouchon. Il fallait levait la tête pour regarder le haut des vagues quand celles-ci se rapprochaient du bateau Par moment, elles le dépassait d’au moins de deux mètres. La proue du bateau frappait les vagues dans un bruit sourd et projetait en l’air des gerbes d’eau. Le vent en prélevait souvent quelques dizaines de litres pour nous les déposer sur nos têtes. Il sifflait dans le grément (le mât et tout les câbles qui le tiennent) et nous fouettait le visage. J’ai fini par être malade et à un moment, je me suis vraiment demandé ce que je foutais là 😅.

Mais j’ai survécu. J’étais toujours là parce que le skipper qui nous accompagnait sur son bateau étais un marin et savait ce qu’il faisait. Il maîtrisait son sujet et j’étais vraiment en admiration devant tant d’assurance, dans une situation si désespérée et de retour port, en posant le pied à terre, j’avais deux certitudes :

  • La première, j’étais triste de descendre du bateau. J’avais passé un moment magique, intense et j’avais envie d’y retourner.
  • La deuxième, j’avais peur ! J’étais face à la mer, incapable de lui survivre dans l’état actuel des choses.

En conduisant pour rentrer chez moi, je décidais que j’allais apprendre à naviguer pour assouvir mon envie d’être sur l’eau. Et voici ce que j’ai appris…

C’était réellement une prise de conscience, la découverte d’une nouvelle dimension à explorer

J’ai pour habitude de tirer des leçons de vie de mes activités. Je me souviens en avoir pris conscience assez tard, vers mes 30 ans. Je l’avais certainement fait auparavant, mais sans le conscientiser. C’était en lisant une biographie de Jigoro Kano, le père fondateur du judo. J’avais jusque là, pratiqué plus de dix ans cette discipline sans jamais sortir du cadre sportif et là, tout d’un coup, j’en découvrais la dimension spirituelle, l’essence de cet art nommé « voie (do) de la souplesse (ju) ».

C’était réellement une prise de conscience, la découverte d’une nouvelle dimension à explorer dans mes activités. Dès lors, je n’ai cessé de m’attacher à trouver activement du sens dans mes pratiques.

C’est le cas pour la navigation à la voile. Il y a tellement de leçons de vie que je peux tirer de cette pratique, que ce soit sur le plan humain, technique, environnemental, philosophique. La navigation a certainement commencé avec l’apparition de l’homme, quand celui ci a dû se laissé dériver, accroché à quelques morceaux de bois flottant…c’est une très vieille histoire.

Pendant des milliers d’années, les humains ont navigué pour diverses raisons et certainement par nécessité. Mais aussi par soif de découvrir, de savoir, de comprendre le monde, ne cessant jamais d’aller plus loin, de perfectionner les techniques, le matériel. Quand je fais un nœud de chaise, qui est un nœud de base en navigation, je perpétue un savoir faire millénaire.

Nœud de chaise classique

Comme absolument tout en navigation, ce nœud a une histoire, celle écrite par les navigateurs qui, à force d’expérience, ont inventé cette manière de nouer une boucle de manière sûr, facile à défaire même quand il a était souqué (que l’on a tiré très fort dessus et qu’il s’est serré) en limitant au maximum l’usure des « bouts » (c’est comme ça que l’on nomme les cordes sur un bateau) pour qu’ils durent et ne se rompent pas intempestivement.

Il semble que l’on nouait déjà des nœuds de chaise en Egypte antique, il y a 4500 ans! Il m’arrive de prendre un instant pour penser aux personnes qui ont inventé ce simple nœud, qui l’on transmis, génération après génération pour qu’enfin il arrive jusqu’à moi et que je transmettrai peut-être à mon tour. Je me sens alors ému d’avoir reçu un tel héritage. Je pourrais en dire autant pour beaucoup de choses du quotidien, comme faire du pain ou utiliser un couteau…

La mer est trop puissante, trop immense, trop irrésistible pour espérer la vaincre

Quand je navigue, je me rends compte, que sur mon embarcation je ne suis pas grand chose. Je me souviens, lors d’une croisière, nous avions pris beaucoup de vent, 8 Beauforts, soit 70km/h. Sur la mer où rien ne freine les bourrasques, ça fait beaucoup…de plus il y avait 2.5m de vague. Ca commence à être bien musclé et donne un avant gout de la toute puissance de la mer sur les ambarcations…il n’y a avait d’ailleurs plus que nous sur l’eau.

Notre solent déchiré par le vent…

Il y avait tellement de vent que nous avions dû enlever des voiles pour garder le bateau manœuvrable et éviter la casse. Nous n’avions gardé qu’un solent, une petite voile installé à l’avant du mât. Mais celle ci était encore trop grosse et elle a fini par se déchirer 😱.

Nous étions dans le vent et les vagues, sans voile…j’ai eu une belle petite angoisse quand j’ai réalisé la situation dans laquelle nous étions 😅. Nous nous sommes déroutés et avons regagné un port que nous savions proche. Nous sommes restés à l’abris le temps que le vent faiblisse, puis nous avons continué notre périple. et je suis toujours là pour te raconter cette anecdote…

La mer est trop puissante, trop immense, trop irrésistible pour espérer la vaincre. Le danger est partout, l’isolement, les vagues, le vent, le soleil, la chaleur, le froid, les autres bateaux…pourtant, je suis là, à surfer sur les vagues, à jouer avec les vents parce que j’ai appris à naviguer et que je prépare mes navigations, j’envisage les pires scénarios.

Parfois, ceux qui aiment l’imprévus me disent que tout cela est trop organisé, qu’il n’y a pas de place pour l’imprévu…qu’ils se rassurent, sur l’eau comme dans la vie, l’imprévus est toujours au rendez-vous!!! Comme cette autre fois où nous étions en route vers le sud pour 10 jours. Le 2ième jours, une coéquipière s’aperçoit que son pied gonfle, une plaie s’est infectée et il faut se dérouter et l’amener voir un médecin rapidement. Notre planning était très serré, nous ne pouvions pas espérer atteindre notre objectif en s’immobilisant dans un port. Pour moi c’était évident, elle devait stopper le voyage et débarquer.

Pourtant, malgré cet imprévu, nous avons continué notre croisière et nous sommes arrivés à bon port, avec tout l’équipage et la plaie guérie. Nous nous sommes déroutés vers un port pour débarquer notre coéquipière et sa mère. Puis nous avons repris notre route. Nous nous sommes donnés rendez-vous 1 jours plus tard dans un port plus loin sur notre route, dans lequel nos deux amies nous attendaient et nous avons pu les réembarquer et finir ensemble notre voyage. Ceci parce quand nous étions préparés et nous avons géré l’imprévu, nous avons replanifié, testé toutes les possibilités et défini une nouvelle feuille de route…

La stratégie de route

En navigation, avant de prendre la mer, j’ai appris à me poser (généralement) 4 questions. La première étant : « quelle est la destination » ? C’est le moment de prendre la carte de navigation est de noter le point de départ et le point d’arrivée. Trouver le but de son voyage !

La deuxième question que l’on se pose en navigation c’est : « où sont les dangers » ? Toujours sur la carte, on scrute tous les dangers potentiels que l’on peut entrevoir, hauts fonds, récifs, courants, voies de navigation commerciales et on les met en relief pour ne pas les oublier.

La troisième question à se poser est : « comment gérer les dangers » ? L’idée est maintenant de réfléchir aux manières de gérer les risques que l’on vient de lister. Ces risques existeront toujours, quoi qu’il arrive mais on peut faire avec. On repère les phares, les amers qui nous permettent de nous diriger en évitant les obstacles et les dangers. On repère les abris tout le long de la route où il sera possible d’aller se réfugier.

La quatrième et dernière question est : « quelle est ma stratégie de route ». C’est à ce moment que l’on regarde la météo, on trace une route et on calcul le temps de voyage, la nécessité de naviguer la nuit et que l’on fixe les dates et horaires tout au long du voyage. C’est véritablement là que l’on définit comment on va naviguer, l’avitaillement (ce que l’on embarque comme vivres), les caps (directions) à prendre ou à éviter et on organise les bordés (les roulements d’équipe comme pour des 3/8). On prévoit le plus possible tout ce qui va se passer et comment on va réagir si ça ne passe pas comme prévu.

Une fois cette préparation mentale achevée, la réalité de la vie s’impose de nouveau et on fait avec ce qui vient. Cette réalité, comme je l’ai expliqué précédemment, nous oblige parfois à changer les choses, redéfinir les objectifs et donc notre stratégie de route. Mais généralement c’est plus simple car nous ne partons pas de zéro, nous pouvons compter sur toute la préparation déjà effectuée pour nous guider et nous aider à faire les bons choix.

Le risque fait partie de la vie

C’est cette méthode que j’utilise quand je prépare une navigation. Elle me cadre, me guide et me permet de faire des choix. Car bien évidemment, je me rends compte parfois que la destination que je souhaite n’est pas atteignable ou me ferait prendre trop de risques. Et faire cet exercice est compliqué pour moi, j’imagine à cause de Mon côté Poulpe.

Celui-ci vois-tu, me dote d’une tendance à être « pétochard », je vois le danger partout et mon cerveau de Poulpe, qui ne veut que me protéger, ne rien pour m’aider à passer par dessus mes peurs. Je dirais même que c’est tout le contraire.

J’ai un don inné pour décortiquer tous mes projets et trouver ce qui pourrait mal se passer. Je me questionne, je doute, j’échafaude des scenarii catastrophe. Passé l’insouciance de mon enfance, ce trait de caractère est devenu, petit à petit, handicapant. Puis avec les responsabilités grandissantes de ma vie de papa et de ma vie pro, je me suis attaché à survivre et j’ai sombré dans l’anhédonie, le burnout. J’ai touché le fond, et j’ai dû tout casser, tout remettre en cause afin de pouvoir me relever et emprunter un nouveau chemin. C’est dans cette épreuve que j’ai compris, que le risque fait partie de la vie. Je ne peux pas l’effacer ! Jamais ! Je dois trouver une façon de le gérer si je veux avancer et « vivre ».

Exactement comme pour la navigation, qui consiste à prendre le risque de quitter la terre, sortir de son habitat naturel pour aller sur l’eau en affrontant le vent et les vagues. Quoi de plus risqué ?

Donc me voilà, j’ai envie d’avancer et je ne suis pas une tête brûlée pour autant. Je ne désire pas jouer ma vie sur une partie de dés. Donc, je regarde la réalité en face et je fais en sorte de rendre les risques acceptables ! C’est ça que la navigation m’a apporté. Je commence par trouver une destination, un projet qui me motive, qui fait sens. Puis je regarde où sont les dangers et pour ça, sans vouloir me vanter, j’ai un certain talent. C’est alors que je commence à chercher des solutions pour contourner les dangers. Tantôt je trouve je prends le risque. Tantôt je me rends à l’évidence quand le risque est trop élevé. Je n’hésite pas à reporter mon départ pour obtenir les conditions favorables. En aucun cas je ne renonce, je reporte, je suis patient, je reste déterminé !

La vie est un voyage, j’ai le choix de voyager comme bon me semble, à pied, à cheval, à vélo…moi je choisis de voyager en bateau. Avoues qu’il y a pire non ?😉 D’ailleurs, tu te demandes peut-être, après le récit que je viens de faire, quel plaisir je trouve à naviguer au milieu de tous ces dangers ?

La liberté…

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