
Ce que tu vas lire ci-dessous est une partie de mon histoire. Une anecdote enfantine voir anodine, mais qui a pourtant façonné mon comportement. Aujourd’hui encore elle ne cesse de me hanter. Mais pas question de se laisser ennuyer par quelques poissons, qu’ils aillent se faire frire…
Sais-tu ce qu’est un maquereau ?
Evidemment ! Tu sais que c’est un poisson, tu en as déjà entendu parlé. Poisson bleu, poisson gras, frangin du thon et peu cousin éloigné par alliance de la sardine. On le connait surtout quand on est amateur de poisson en en conserve, en papillote ou de pêche, ou de tout ça en même temps !
Ce poisson a une place toute particulière dans ma vie. Pour le petit garçon passionné de pêche que j’étais, c’était le trophée ultime. Pendant nos vacances en camping, chaque été, je rêvais de saisir ce poisson qui se pêche en bateau, qui tire fort sur la ligne et qu’on ne remonte, pour les plus gros spécimens, qu’après une longue et subtile lutte…
Mais voilà, je n’étais qu’un petit garçon et d’aucun me jugeait trop petit pour accompagner les grands sur le bateau du voisin de caravane. Et mon rêve, alors inaccessible, restait à l’état d’une frustration qui me semblait sans fin. Insupportable pour le poulpe en devenir que j’étais.
N’ayant pas dit mon dernier mot et bien décidé à me mesurer à ce monstre des mers, j’optais pour une stratégie d’harcèlement de mes parents et surtout de mon père. Cette stratégie se révéla payante et un beau jours j’obtins la permission de me joindre à une expédition qui devait démarrer tôt le matin pour profiter de la fraicheur.
Quel bonheur, quelle excitation ! C’était il y a plus de 30 ans…
Quand je me suis réveillé ce matin là, mon frère, de la partie lui aussi, était déjà sorti de la tente. Quelle heure était il ? je ne m’en souviens plus, mais il faisait déjà bien jours et l’humidité de la nuit se mêlait encore à la chaleur des premiers rayons de soleil. Il fallait se dépêcher, c’était déjà un peu tard pour partir, mais qu’importe! Rien ne pouvait me décourager.
Je m’habillais et sortais de la tente pour rejoindre les grands certainement en train de déjeuner à la va vite. Le auvent de la caravane parentale était toujours fermé, sans doute étaient ils déjà chez le voisin ou mon oncle, leurs caravanes étaient toutes proches. Pas de problème, j’ouvre le auvent pour récupérer le matériel, mais mon frère et mon père ont déjà tout récupéré. Parfait, je n’ai plus qu’à manger un truc vite fait et je file chez le voisin ! Je me dépêche, j’imagine déjà mon père en train de râler…
C’est bon je file chez le voisin !
Tient ! Etonnant ! Le auvent est fermé là aussi. Sans doute ont-ils décidé de se retrouver chez mon oncle. Direction la caravane de mon oncle ! Mais elle est fermée elle aussi…ça devient vraiment flippant, sont-ils déjà en train d’atteler la remorque du bateau à la voiture? L’angoisse commence à monter, ils vont m’attendre et je vais me faire engueuler c’est sûr ! Je pars en courant et tout affolé vers le parking à bateau et en arrivant, plus de remorque, plus de bateau…C’est la douche froide !
Que se passe-t’il ? Ils sont partis sans moi ?
Je ne comprends pas, ou plutôt je me refuse à comprendre. Je suis submergé par les larmes, abattu. Mon monde est en train de s’écrouler ! Je me suis levé trop tard et j’ai tout raté. Je suis vraiment nul!!! Mais pourquoi ne m’ont-ils pas réveillé, ils savaient pourtant à quel point c’était important pour moi.
Ce n’est pas possible, ils n’ont pas pu partir sans moi. Il y a certainement eu un problème et un changement de programme. Je cherche une explication tout en me résignant à retourner à la caravane de mes parents. En arrivant, je trouve le auvent ouvert, c’est ma mère qui est revenue de la douche. Je m’empresse de lui demander tout affolé où sont passés mon frère et mon père.
« Ils sont partis pêcher avec le voisin et ton oncle » me dit-elle…plus de doute possible.
Certainement lassé de mon attitude, mon père a fini par me faire croire qu’il allait m’emmener à la pêche. Au lieu de ça, avec mon frère, ils se sont entendus pour partir sans moi…Ma mère était elle au courant ? Je ne sais plus trop, peut-être, peut-être pas. Nous en avons parlé il y a quelques années et elle m’a confié qu’elle en avait beaucoup voulu à mon père pour ça, car m’a t’elle dit, elle a beaucoup souffert de voir dans quel état j’étais ce matin là…
Mais pourquoi j’en viens à te raconter ça. Après tout ce n’est qu’une histoire semblable à celle de tellement de petits garçons. Et la terre tourne toujours, il n’y a pas de quoi en faire toute une histoire!
Si j’éprouve le besoin de raconter cette histoire, c’est qu’elle vit toujours en moi et quelle cristallise bien des choses je le crains. Elle est là, quelques part dans mon cerveau et les émotions qu’elle a provoqué sont toujours présentes elles aussi. Jai du mal à me souvenir de tout, de ma réaction, de mes émotions. Pourtant j’ai vraiment le sentiment que c’est un des tournants de ma vie, une de ces expériences qui ont façonné mon comportement.
J’ai l’impression que cette histoire a laissé des programmes de défense et de réactions qui sont toujours en fonctionnement aujourd’hui et qui s’activent malgré moi quand je vis une situation qui a quelque de chose à voir avec le comportement de mon père, de mon frère et de ma mère, autrement dit, les personnes les plus proches de moi. Même si je leur en ai voulu, je ne pouvais pas partir et m’enfuir. Il a bien fallut que je reste avec eux des années encore…Comment ai-je bien pu faire pour survivre ? Quel couvercle ai-je bien pu mettre sur cette marmite bouillante pour contenir le débordement ?
La culpabilité ?
Je me rend compte que dans une situation de trahison pure comme celle que j’ai vécu ce jours là, j’ai réussi à me culpabiliser. Peut-être que mes souvenirs me trahissent et que la réalité fut toute autre, mais je me souviens pas leur avoir dit que je leur en voulais de m’avoir trahi. Je me souviens leur avoir demandé pourquoi ne m’avez-vous pas réveillé, comme si la faute était la mienne, de ne pas m’être réveillé ce jours là.
En y repensant, il m’arrive parfois de me dire « tu aurais dû mettre un réveil » ! Peut-être t’auraient ils emmené avec eux, bien obligés ? Oui mais, dans ce cas là, ce n’aurait pas été par envie de m’emmener mais par obligation, parce qu’ils n’auraient pas pu faire autrement. Comment pourrais je me sentir aimé et considéré dans ce cas là ?
Et là je touche du doigts quelque chose de profond. Qu’est-ce qui m’a marqué dans cette histoire ? Le fait d’avoir le sentiment d’être responsable de cette catastrophe, de me dire que la prochaine fois je mettrai un réveil ! Et que peu importe le fait que mon père ne voulait pas de moi, l’important c’était d’y être.
Non, le fait est que mon père ce jours là, a agit comme un salaud. Il ne voulait pas de moi et il ne l’a pas assumé il s’est enfuis et il a eu la cruauté de me mentir, de me trahir et d’entrainer mon frère, mon oncle, le voisin et peut-être ma mère dans cette trahison ?
J’avais besoin d’amour, de confiance, d’estime de moi, d’honnêteté. J’avais besoin du bonheur d’aller à la pêche au maquereau, et je n’ai rien eu de tout cela ! Je me suis senti seul, abattu, démuni et pour finir écœuré, blessé…mais bizarrement je n’ai pas de souvenir d’avoir ressenti de la colère. Je n’avais pas à me sentir coupable. Ma colère était légitime et mes parents auraient pu la comprendre. Peut-être l’ont-ils fait d’ailleurs. Honnêtement, je ne m’en souviens plus.
J’ai aujourd’hui 40 ans et malgré tout le temps qui s’est écoulé depuis ce jours, j’ai la gorge serrée et les larmes qui pointent en écrivant ces mots et en me remémorant cet épisode.
Difficile à accepter, mais je dois avouer que j’ai un problème avec ma colère. Il m’est très difficile de me mettre en colère. Je ne parle pas de la colère quand je gronde mes enfants. Je parle de la colère qui exprime mes limites, qui exprime mes blessures et qui va confronter les destinataires à leurs erreurs. C’est comme si je n’avais pas suffisamment confiance en moi pour me mettre en colère, comme si j’avais peur des représailles, d’être abandonné, parce que j’exprime cette colère. Comme si le besoin que les autres m’acceptent était si important, que je ne me risque en aucun cas à les froisser…La peur du rejet et de la solitude serait elle trop grande ?
Non je ne crois pas qu’elle soit « trop grande », mais oui, elle est là, elle existe. Et elle attend les moments de faiblesse pour ressortir. Quand j’ai un genoux à terre, où quand les enjeux sont grands, les maquereaux viennent se rappeler à mon bon souvenir…
Mais regardons les choses positivement. Le retour de ce souvenir dans mes pensées est un bon indicateur, une manière pour mon inconscient de me prévenir que quelque chose est en train de jouer et que je dois être vigilant, tenir bon, affronter ma peur du rejet, de la solitude. Affronter l’ombre de la pêche au maquereau.
Aujourd’hui, j’ai les moyens d’exprimer ma colère et j’ai aussi les moyens d’affronter la solitude !
Finalement, ça va plutôt bien 😁 !

