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La dernière leçon

J’ai perdu ma maman. Elle est partie un soir de Juin 2019, après 1 an et demie de lutte contre un cancer du pancréas. Elle avait 73 ans.

J’ai passé les dernières heures de sa vie terrestre à ces côtés. A lui tenir la main, lui caresser le visage, la réconforter comme je pouvais. A lui dire « je t’aime » et « je suis heureux et fier d’avoir eu une maman comme toi ». A lui souhaiter un bon voyage.

Et elle est partie…

C’était un moment. Un moment très intense émotionnellement. Dans la pièce, avec ma femme, mon père, mon frère, ma soeur. Chacun essayant de gérer comme il peut cette déferlante qui nous submerge et nous entraîne dans les profondeurs de notre condition d’humain mortel. Hors de l’espace et du temps. Chacun faisant son possible pour ne pas sombrer.

Après quelques minutes, nous sortons de sa chambre, les infirmières s’occupent d’elle. C’est la descente, mon corps est certainement saturé d’hormone. J’ai l’impression d’être dans une autre dimension.

Dans cette dimension, mon corps ne réagit plus. Tous mes sens ont été saturés par le raz de marée d’émotion. Le temps d’écoule très doucement. Autour de moi, c’est le silence. Nous tentons d’échanger quelques mots pour nous réconforter. Je perçois tout juste les bruits maladroits des infirmières. Pour elles, c’est une soirée de travail ordinaire.  J’ai l’impression de rêver, que ce qui m’arrive n’est pas réel. Je suis sous le choc.

Il est 22h00. Après un dernier bisous à ma maman, nous sortons de la clinique. Je perçois le monde qui s’active, le flux des voitures, les sirènes de pompier… J’ai l’impression que ma vie vient de s’écrouler, pourtant dehors, rien n’a changé. Aussi bizarre que ça puisse paraître, j’ai un moment de lucidité. Je réalise que finalement le monde, lui,  ne s’est pas écroulé. La terre tourne toujours, le soleil vient de se coucher et il se lèvera demain matin.

La mort, c’est finalement quelque chose de simple. Un instant on est là, l’instant d’après on est parti.  Reste alors le souvenir dans le cœur et l’esprit de ceux qui sont toujours là. Et avec ou sans nous, le monde continue de tourner…

Chaque jour, je me lève et je vie une nouvelle journée. Un sentiment de tristesse m’envahie quelques fois et je souviens que pour certains, cette journée sera la dernière. Pour leur famille, leurs amis, ce sera le début d’une période difficile.

Je fais partie de ce monde,  qui tourne quoi qu’il arrive.

C’est peut-être ça, sa dernière leçon. Elle m’a montré le chemin, comment se finit une vie humaine. La dernière expérience qu’elle pouvait partager avec moi. Et elle m’a finalement montré que même si c’est douloureux, ce n’est que la vie. Moi qui est toujours eu une angoisse de la mort, je suis rassuré. Car au-delà de sa mort, c’est de la mienne dont il est question en fait. Ce triste « moment » me ramène à la réalité de mon existence et de ma fin inéluctable.

Ma mère se savait condamnée, c’était quelqu’un de très lucide. Elle avait fait le choix de se battre contre la maladie. Et elle s’était préparée à l’issue du combat. Je me souviens des jours qui ont précédés sa mort. Elle était très affectée par la maladie, pourtant elle avaient remarqué que j’avais de « belles chaussures qui m’allaient bien ». Elle pouvait à peine parler, mais elle souriait dès qu’elle le pouvait. Quand j’étais à côté d’elle, elle posait sa tête sur mon épaule. J’imagine qu’elle appréciait les petits moments de répit que lui laissait sa maladie.

Aujourd’hui, j’éprouve de la tristesse à chaque fois que je repense à elle. Et cela ne me convient pas du tout. J’ai passé plus de 30 ans avec elle et pourtant les seuls moments qui me reviennent sont ceux des années de maladie. Je pourrais me souvenir de tous ces moments partagés, qui sont j’en suis sûre toujours présents quelque part au fond de ma mémoire. Ces moments câlins de ma petite enfance, les vacances à la mer, les repas de famille, les leçons de conduite en 2CV, les petits déjeuner, nos discussions philosophiques. Mais rien à faire, toutes les émotions liées à ces bons moments sont balayés par ma tristesse, mes frustrations, mes colères…du coup, je n’y pense plus. Je détourne mon attention, je me réfugie dans mes occupations.

A bien y réfléchir, je pense la blessure est trop douloureuse. Se souvenir des bons moments, c’est aussi prendre le risque de se remémorer ceux qui sont pénibles. Instinctivement, je m’éloigne, je me mets à l’abris, le temps que la plaie cicatrise, qu’elle soit moins sensible.

J’ai commencé à écrire cet article en Septembre 2019. J’ai pleuré de la première à la dernière phrase. Puis je l’ai oublié pendant 7 longs mois. En Avril 2020, j’ai décidé de le finir. Pourquoi ? Est-ce à cause du Covid19 ? Aucune idée, mais j’aime à penser que c’est simplement le moment de mettre à profit cette dernière leçon. Il me faudra pourtant 4 mois de plus pour me décider à le publier, un peu par hasard. Peut-être est-ce le bon moment pour clore ce chapitre et passer à autre chose.

J’ai envie de me souvenir des bons moments. Je ne peux pas oublier les moments de douleur, ils font partie de mon histoire, ils font partie de moi. Mais peut-être qu’il est simplement possible de donner plus d’importance aux bons souvenirs, pour compenser cette tristesse, qui quoi que je fasse sera là.

Comment faire ? Là aussi, je ne sais pas trop. En générale, je me dis que qu’en on ne sait pas quoi faire, le mieux c’est de commencer par faire quelque chose ! Sous-entendu, même si on en a pas envie, n’importe quoi, du moment que l’on fait quelque chose, voir, apprendre des choses nouvelles. Du coup, je vais regarder les photos de famille avec mes enfants, leur raconter notre histoire.

Je vais commencer par là et pour la suite…on verra !

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